Les débuts de l’aphidologie

Une courte histoire des débuts de l’aphidologie

par Charles-Antoine Dedryver et Jean-Sébastien Pierre

Alors que l’entomologie a une histoire bimillénaire, les pucerons, probablement du fait de leur petite taille, n’ont suscité l’intérêt des entomologistes qu’après l’apparition des lentilles fortement grossissantes et des microscopes. Nous retraçons ici les principales étapes de la connaissance acquise sur ces derniers, des premières mentions de leur existence à la mise en évidence de leurs caractères biologiques originaux comme la viviparité, l’alimentation à base de sève, le polyphénisme et la parthénogénèse cyclique, jusqu’au milieu des années 1700. Pour cela nous nous sommes basés sur une étude bibliographique importante mais non exhaustive (certains textes ne sont pas disponibles en ligne dans les principales bibliothèques européennes). Après les années 1750 plusieurs auteurs se sont intéressés aux pucerons (De Geer, Geoffroy, ..) mais nous ne les citerons pas car nous considérons que leur apport à la biologie des pucerons est minime. Enfin le XIXe siècle ne sera abordé qu’à une occasion (avant 1850), les nombreuses études postérieures ne pouvant pas être considérées comme procédant du début de l’aphidologie.

Mentions de l’existence des pucerons

Ceux qui n’en parlent pas

Aristote (-384 -322), Isidore de Séville (560-636), Albert Le Grand (1200-1280), Olivier de Serres (1539-1619), Ulysse Aldrovandi (1522-1605), Francisco Redi (1626-1697),  Lazzaro Spallanzani (1729-1799).

Mentions douteuses

Pline l’ancien  (23-79 après JC) indique dans son histoire naturelle : « Populi ferunt et in foliis guttam, ex qua apes propolim faciunt. Gutta aeque propoli ex aqua efficax ». Soit « Les peupliers portent en leurs feuilles un suc à partir duquel les abeilles font la propolis. Le suc en question, tout comme la propolis issue de ce suc sont efficaces [contre l'épilepsie] ». Ce suc est attribué aux pucerons (miellat ?) par Ajasson de Grandsagne, traducteur de Pline en 1832, ce qui est assez incertain, car les bourgeons de peuplier sont eux-mêmes couverts de propolis au moment du débourrement. Cette propolis peut être directement récoltée par les abeilles.

Columelle (4 -70 après JC) dans le livre X, poème des jardins de son ouvrage De Re rustica,  utilise le mot pulex, (aut pulex inrepens dente lacessat) que deux traducteurs différents, Ajasson de Grandsagne en 1832 et Louis Dubois en 1846 traduisent par « pucerons ». Il peut cependant aussi bien s’agir d’altises !

Charles Etienne et Jean Liébault, auteurs de L’agriculture et la maison rustique (1625), Livre II, évoquent des « pussons » à plusieurs reprises :
Concernant les choux rouges dans la rubrique « arrousement des choux » (p 84) :
« Aucuns les arroufent d'eau sallee, pour les faire plus tendres, & autres leur sèment du salpestre par dessus la superficie de la terre, ou bien des cendres menu criblées pour les garentir des pussons, chenilles, & autre vermine ».
Concernant  le chardon à bonnetier (p 154 et 156) :
« Aucuns le font & laissent seicher à sa grange en un lieu a part à cause qu'il est subject aux pussons, & petite vermine, qui fait cheoir le petit pied qui soutient ceste teste ».
Deux pages plus loin :
« Pour les garentir de la vermine & des pussons , semez de  l'origan à l'entour, ou en picquez des branches entre les plantes. Pour faire que le concombre ou melon n'aura point d'eau, remplissez à moitié de paille ou de ferment bien menu la fossette qu'aurez faite pour semer vos graines, & y mettez la terre par dessus, puis vos graines & ne les arrousez point, ou bien fort peu »
Note marginale : contre les pussons.
« Les pussons meurent incontinent, s'ils font arrousés de fort vinaigre meslé avec du jus d'hanebane, ou de l'eau ou de la figue aura cuit »

Il semble bien que les dits pussons puissent être des pucerons.

Mention pratiquement certaine

Pierre Borel : médecin botaniste et érudit français (1620-1671) in « Observationum microscopicarum centuria », (1655),  page 34 De insectulo viridi indique :
« Sur les feuilles des espèces d'érable tels que le sycomore, ou le faux platane, il y a de petits insectes verts, qui apparaissent diaphanes sur une vitre, et qui ont des cornes divisées et fourchues sur le front, des yeux gros et noirs, quoi que ce soient des animaux petits. En 24 heures, on a vu l'un d'eux <sique est>( ?). Je crois qu'il s'agît d'un début de sauterelle comme on en trouve dans la salive du ciel de mai collés aux herbes dans les prés » (l’interprète comme une cicadelle responsable d’un « crachat de coucou ») « et j'imagine qu'il eut de grands yeux pour ce qu'était un animal fraichement né, car tous les animaux nouveau nés ont de grands yeux ».
Cette description pourrait correspondre au puceron du sycomore Drepanosiphum platanoidis

Les premières mentions certaines

Jan Goedart : né en 1617 à Middelburg en Zélande et mort en 1668, est un peintre hollandais célèbre pour ses illustrations d'insectes.
Il publie, dans sa ville natale, un livre intitulé Metamorphosis et historia naturalis insectorum entre 1662 et 1667, où pour la première fois, des insectes sont représentés grâce à la technique de la taille-douce. Il est traduit en français en 1700 sous le titre « d’Histoire des insectes ». Il s'agit de l'observation minutieuse de toutes les phases de croissances des insectes, de la larve à l'adulte en passant par l'étape de la métamorphose.
Goedart commet de nombreuses erreurs d’observation. Ainsi, il indique que les chenilles  peuvent donner à l'occasion des « mouches » mais ne comprend pas qu’elles sont parasitées. Il fait plusieurs allusions aux pucerons, une dans le tome 1 (expérience 47), deux autres dans le tome 2 (expériences 11 et 45), mais les considère uniquement comme nourriture pour leurs prédateurs, en particulier les larves de Syrphes. Néanmoins on lui doit ce qui est probablement le premier dessin de pucerons publié (Figure 1).
Ayant remarqué fort justement que les fourmis récoltaient leur miellat et les protégeaient, il pense que les pucerons naissent d’une substance déposée sur les feuilles par ces dernières :

Petits insectes verts et quelquefois noirs

Figure 1 : Premier dessin de pucerons publié

Petits insectes verts et quelquefois noirs, sur les pousses de sureau, arbres fruitiers, Ils sont issus d’une semence  que les fourmis projettent sur les branches. Il rejettent par le postérieur une certaine matière que les fourmis aiment énormément, Elles les protègent contre les vers et chenilles”.

Jan Swammerdam : (1637–1680), né à Amsterdam est un naturaliste néerlandais, pionnier de l'usage du microscope en biologie. Son œuvre entomologique exposée dans « Historia generalis insectorum » (traduit en français en 1685 : Histoire générale des insectes) et dans son splendide ouvrage posthume « Biblia naturae » (en latin et néerlandais) est particulièrement marquante : il y rapporte ses observations sur le développement et les « métamorphoses » de l’œuf à l’adulte de plusieurs insectes et batraciens, et « tord le cou », avec l’italien Redi, à la théorie de la génération spontanée des insectes, alors répandue dans les populations européennes. Il ne fait que signaler l’existence des pucerons, à peu près dans les mêmes termes que Goedart, qu’il cite dans son texte.

Premières observations morphologiques et biologiques : viviparité et polymorphisme

Les pucerons, objets scientifiques : l’énigme de la reproduction

La parthénogenèse a enfin un nom

Bibliographie

Date de modification : 07 février 2023 | Date de création : 08 janvier 2010 | Rédaction : Charles-Antoine Dedryver, Jean-Sébastien Pierre