Spectrométrie Infrarouge

Spectrométrie Infrarouge

La technologie Spectrométrie Proche Infra-Rouge (SPIR) est mise en œuvre par la plateforme Phénobois depuis une dizaine d’années. Elle a permis de mettre au point puis d’utiliser plusieurs modèles de prédiction des propriétés du bois, notamment de sa composition chimique (teneur en lignines, cellulose, extractibles, …). C’est une alternative intéressante aux méthodes analytiques traditionnelles pour des échantillonnages de très grande taille, notamment dans le cadre d’études génétiques où plusieurs centaines à plusieurs milliers d’individus sont évalués pour leurs propriétés physico-chimiques.

On appelle « infrarouge » (IR) le rayonnement correspondant aux longueurs d’onde directement supérieures à celles du spectre de la lumière visible. La fenêtre spectrale de l’IR se décompose en 3 parties : le proche, le moyen et le lointain IR. Conventionnellement les limites du proche infrarouge se situent entre 700 et 2500 nm (figure 1). La SPIR est une technique analytique basée sur le principe d’absorption différentielle des rayonnements infrarouges par la matière organique. Elle permet d’établir un lien entre l’absorption de la lumière (intensité à différentes longueurs d’ondes) et la composition de l’échantillon. Le spectre obtenu est caractéristique d’un échantillon car il regroupe des informations sur chacun de ses constituants organiques, en quantité et en qualité. Pour le bois, nous parlerons de cellulose, lignines, hémicellulose, extractibles, composés phénoliques, …, (figure2).

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Figure 1 : Région spectrale du Proche Infra Rouge

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Figure 2 : Spectres de bois (broyé) de 6000 échantillons de peuplier noir

Cette mesure se fait avec un spectromètre soit en «transmission» (on mesure la lumière traversant un échantillon fin, par exemple sur des coupes histologiques de bois), soit en «réflexion» (on mesure la lumière réfléchie par un échantillon épais, cas le plus souvent mis en œuvre avec les échantillons de bois, sous forme de poudre ou directement sur le bois massif) (figure 3).

Figure-3

Figure 3 : Spectromètres utilisés par la plateforme Phénobois : a) MPA Bruker à Bordeaux-Cestas ; b) Spectrum 400 PerkinElmer à Orléans (ici associé avec un microscope imageur Spotlight 400). Prise de spectre de poudre de bois en vial (c) ou coupelle (d) et prise de spectre PIR en réflexion sur une demi-carotte de pin sylvestre (e).

Beaucoup d’informations sont récupérées dans un spectre PIR, d’où sa complexité : l’intensité des bandes d’absorption rend compte de la concentration des groupes chimiques caractéristiques de ces zones d’absorption (loi de Beer-Lambert). Plusieurs groupes chimiques peuvent absorber la lumière PIR aux mêmes plages de longueurs d’onde, l’interprétation directe des spectres est donc impossible la plupart du temps et le recours à l’analyse multivariée devient indispensable pour extraire l’information utile.

La SPIR, lorsqu’elle est utilisée dans un objectif de quantification d’un caractère physico-chimique de la matière, nécessite une phase d’étalonnage (apprentissage ou « calibration ») basée sur des mesures de référence obtenues en laboratoire, et l’établissement de modèles mathématiques (régressions linéaires multiples ou PLS le plus souvent) permettant de relier le spectre PIR à ces mesures. Ce domaine s’appelle la chimiométrie.

La phase d’étalonnage nécessite un échantillonnage plus ou moins important selon les propriétés à quantifier (figure 4). Il est impératif que cet échantillonnage soit représentatif de la variabilité dans la population à analyser.

Un échantillonnage de validation est également réalisé, qui permet d’estimer la qualité des modèles établis. La validation consiste en effet à appliquer les modèles prédictifs établis grâce à l’échantillon d’étalonnage à de nouveaux échantillons. On considère alors que la validation est indépendante. À chaque lot de spectres PIR pourront être associées plusieurs équations de prédiction de propriétés physico-chimiques différentes, ce qui donne sa puissance analytique à la SPIR. Cependant, les modèles doivent être développés le plus souvent par espèce et par type d’échantillons.

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Figure 4 : Échantillonnage de calibration pour l’évaluation des propriétés chimiques du bois (environ 150 échantillons de poudre de bois).

Exemples de modèles développés dans la plateforme Phénobois :

Propriétés chimiques du bois :

  • Prédiction des contenus en cellulose, lignines dans le bois de populations de peupliers noirs (Gebreselassie et al, 2017) (figure 5)
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Figure 5 : (a) Plan de l’analyse expérimentale. Modèles de calibration de deux paramètres chimiques du bois de peuplier noir : le rapport des unités S/G des lignines (b) et le rapport des carbohydrates Xylose/Glucose de la cellulose et hémicellulose (c).

  • Contenu en stilbènes dans le bois de cœur de pin sylvestre (Pulkka et al, 2016) (figure 6)
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Figure 6 : Modèles de calibration et de validation de la teneur en stilbènes du bois de cœur de pin sylvestre établis à partir de carottes de bois.

  • Teneur en extractibles dans bois de mélèze (figure 7)
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Figure 7 : Modèle de calibration pour la teneur en extractibles globaux (a) et modèle de calibration pour deux molécules de composés phénoliques Taxifoline et Dihydrokaempférol (b), établis à partir de bois de mélèze broyé en poudre.

  • Durabilité naturelle du bois de mélèze (figure 8)
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Figure 8 :  Éprouvettes de bois de mélèze utilisées pour la mise en contact avec les champignons (a) et pour la prise de spectres sur chaque face (b). Modèle de calibration de la durabilité naturelle du bois de mélèze (c) établi à partir de spectres pris sur les blocs de bois et de la perte de masse évaluée après attaque de champignons.

  • Participation au développement d’une application industrielle : Évaluation de la qualité du bois de chêne de tonnellerie par spectroscopie proche infrarouge, le procédé Oakscan® (figure9) (Giordanengo et al., 2009 ; Giordanengo et al., 2011 ; Giordanengo et al. 2012, Tonnellerie Radoux)

La collaboration entre la Tonnellerie Radoux (France) et Phénobois a abouti à la conception du premier outil industriel de mesure de la quantité de polyphénols (ellagitannins) dans le bois de chêne par la technologie SPIR (figure 9). Ce projet a permis la conception par l’entreprise d’un capteur proche infrarouge fonctionnant directement sur la ligne d’usinage des douelles (pièces de bois servant à la fabrication des tonneaux). Ce procédé est utilisé depuis 10 ans par l’entreprise pour sélectionner les bois servant à la fabrication des tonneaux selon un « Indice Polyphénols ».  Les douelles de chêne sont triées en trois classes en fonction de cet Indice  Polyphénols puis identifiées par marquage. Elles seront sélectionnées individuellement pour la fabrication du tonneau. Il s’agit de la première application utilisant la spectroscopie proche infrarouge mis en place dans la filière bois et plus spécialement dans le secteur de la Tonnellerie.

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Figure 9 : (a) Répartition de l’échantillonnage par provenance géographique (plus de 400 échantillons de chêne pour la calibration) avec pour objectif d’inclure la plus large variabilité de composition des bois. (b) Illustration des modèles d’étalonnages PIR provenant d’une validation croisée, pour le taux d’extraits, la densité optique à 280nm, les polyphénols totaux mesurés par le réactif de Folin-Ciocalteu et pour la teneur en ellagitannins mesurée en HPLC. Illustration du marquage d’une douelle après passage devant le capteur PIR (c), d’un stock de bois trié (d) et d’un fût en cours de fabrication dans la tonnellerie Radoux (e).

Autres utilisations potentielles de la SPIR (figure 10)

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Figure 10 : Les divers champs d’application de la SPIR : quantification, discrimination, classification.

  • Discrimination d’espèces

La SPIR peut être utilisée de manière qualitative, pour discriminer des espèces, des variétés, des années de production. Pour cela, la chimiométrie s’appuie sur des méthodes de classification telles que l’Analyse Factorielle Discriminante ou la PLS-DA. C’est ce que GénoBois a mis en œuvre sur le mélèze, en mettant au point un test rapide permettant de distinguer les espèces de mélèzes européens des espèces japonaises, ainsi que leurs hybrides (Segura et al. 2017). 

  • Études génétiques, « sélection phénomique » : une nouveauté dans l’utilisation non conventionnelle de la SPIR ? (Rincent et al., 2018)

En guise d'alternative à l'utilisation de marqueurs moléculaires dans la sélection génomique, les chercheurs associés à la plateforme Phénobois ont proposé d'utiliser la spectroscopie dans le proche infrarouge (SPIR) en tant qu'outil à haut débit, peu coûteux et non destructif pour prédire des caractères d’intérêts qui ne sont pas forcément liés aux propriétés physico-chimiques de l’échantillon analysé. L’idée sous-jacente est que la SPIR permet de capturer de l’information génétique qui peut alors être utilisée pour estimer des matrices d’apparentement entre individus candidats à la sélection. Ces matrices sont alors utilisées pour effectuer la prédiction, d’une façon analogue à ce qui est réalisé en sélection génomique.  Cette nouvelle approche a été appelée "sélection phénomique". Elle a été testée sur deux espèces d’intérêt économique, le blé (Triticum aestivum L.) et le peuplier (Populus nigra L.), en pratiquant la SPIR sur divers tissus (grains, feuilles, bois). Il a été montré dans ce cas que l'on pouvait atteindre des prédictions aussi précises qu'avec les marqueurs moléculaires pour des caractéristiques de développement, de tolérance et de productivité, même dans des environnements radicalement différents de celui dans lequel les spectres PIR ont été collectés. Ce travail a été initié par des chercheurs INRAE des UMRs BioForA à Orléans (peuplier) et GDEC à Clermont-Ferrand (blé) et a été mis en œuvre en collaboration avec la plateforme Phénobois. Il constitue une preuve de concept de cette nouvelle approche et offre de nouvelles perspectives à la communauté des sélectionneurs, puisque la sélection phénomique est théoriquement applicable à tout organisme à faible coût et ne nécessite aucune information moléculaire.

Références :

Rincent R., Charpentier J-P., Faivre-Rampant P., Paux E., Le Gouis J., Bastien C., Segura V. 2018. Phenomic Selection Is a Low-Cost and High-Throughput Method Based on Indirect Predictions: Proof of Concept on Wheat and Poplar. G3: Genes, Genomes, Genetics December 1, 2018, vol. 8 no. 12 3961-3972; https://doi.org/10.1534/g3.118.200760

Chaix G., Giordanengo T., Segura V., Mourey N., Charrier B., Charpentier J-P. 2018. Near Infrared Spectroscopy, A New Tool to Characterize Wood for Use by the Cooperage Industry. In Chemistry of Lignocellulosics: Current Trends. Editor Tatjana Stevanovic. CRC Press Taylor & Francis Group.

Gebreselassie M.N., Ader K., Boizot N., Millier F., Charpentier J.P., Alves A., Simões R., Rodrigues J.C., Bodineaud G., Fabbrinie F., Sabattie M., Bastien C., Segura V. 2017. Near-infrared spectroscopy enables the genetic analysis of chemical properties in a large set of wood samples from Populus nigra (L.) natural populations, Industrial Crops & Products 107, 159–171.

Segura V., Charpentier J.P., Ader K., Buret C., Boizot N., Pâques L., Determination of Larch taxa with Near Infrared Spectroscopy. Poster présenté aux rencontres scientifiques HélioSPIR 2017.

Pulkka S., Segura V., Harju A., Tapanila T., Tanner J., Pâques L., Charpentier J.P. 2016. Prediction of stilbene content from heartwood increment cores of scots pine using NIRS methodology. Journal of Near Infrared Spectroscopy 24, 517–528.

Giordanengo T., Michel J., Gauthier P., Charpentier J.P., Jourdes M., Teissedre P.L. and Mourey N. 2012. Application du procédé OakScan® aux Bois pour l’Œnologie : Sélection et influence de la teneur en polyphénols du chêne sur le profil aromatique et structurant du vin. Revue Française d’Œnologie 255, 16-24.

Giordanengo T., Charpentier J.P. et Mourey N. 2012. OakScan® : outil d’évaluation rapide de la qualité du bois de chêne pour l’œnologie. Forêt – Entreprise 203, 38-41.

Alves A., Santos A., Rozenberg P., Pâques L.E., Charpentier J.P., Schwanninger M., Rodrigues J.C., 2012. A common near Infrared based partial least squares regression model for the prediction of wood density of Pinus pinaster and Larix × eurolepis. Wood Science and Technology 46(13), 157-175.

Lepoittevin C., Rousseau J.P., Guillemin A., Gauvrit C., Besson F., Hubert F., da Silva Perez D., Harvengt L., Plomion C. 2011. Genetic parameters of growth straightness and wood chemistry traits in Pinus pinaster. Ann. For. Sci. 68, 873-884. https://doi.org/10.1007/s13595-011-0084-0

Giordanengo T., Charpentier J.P., Boizot N., Roussel S., Roger J.M., Chaix G., Robin C. and Mourey N. 2009. OAKSCAN™ : Procédé de mesure rapide et non destructif des polyphénols du bois de chêne de tonnellerie. Revue Française d’Œnologie 234: 10-15.

Giordanengo T., Charpentier J.P., Roger J.M., Roussel S., Brancheriau L., Chaix G. and Baillères H. 2008. Correction of moisture effects on near infrared calibration for the analysis of phenol content in eucalyptus wood extracts. Annals of Forest Science 65(8), 803.

Date de modification : 17 octobre 2023 | Date de création : 08 septembre 2016 | Rédaction : BV